Sinarum #24 - Les entreprises chinoises VS la RSE européenne
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Pour l’analyse de cette semaine, Sinarum a invité Jing Wang-Schmitt, experte de la RSE textile en Chine et en France, à parler de la RSE européenne vue de Chine.
Réglementations européennes : comment les entreprises chinoises réagissent-elles aux nouvelles exigences RSE ?
La France et l’Europe font rapidement évoluer leurs cadres réglementaires pour tenter de réduire les impacts sociaux et environnementaux de l’industrie de la mode et renforcer la transparence du secteur. Néanmoins, comme chacun sait, l’industrie de la mode est une industrie extrêmement mondialisée et l’Europe dépend de fournisseurs extérieurs à toutes les étapes de la chaîne de valeur. Les standards en mutation en France et dans l’Union impactent nécessairement le secteur à l’international si tant est qu’il souhaite continuer à exporter auprès des consommateurs européens. Comment les entreprises chinoises réagissent-elles à ces nouveaux enjeux ? Plusieurs marques peuvent servir d’exemple.
En 2019, l'Union européenne a publié le European Green Deal. En 2020, elle dévoilait un nouveau Circular Economy Action Plan, qui constitue l'un des principaux piliers du Green Deal et prévoit de mettre en œuvre un ensemble de mesures dont l’EU Strategy for Sustainable and Circular Textiles adopté définitivement en mars 2022
Les marques de mode européennes imposent des normes de durabilité de plus en plus strictes à leurs fournisseurs, en matière de durabilité, d'éthique et de conditions de travail. La Chine étant le principal exportateur des produits textiles vers l'Europe, les entreprises chinoises doivent naturellement adapter leurs pratiques pour répondre aux attentes des consommateurs et des régulations européennes.
Les défis pour les entreprises chinoises de la mode
Les cadres réglementaires européens sont parmi les plus développés au monde, qu’on parle d’impact social ou humanitaire, environnemental ou sanitaire.
Face à cette situation, les entreprises chinoises du textile se retrouvent à un carrefour.
Sur quoi s’agit-il de miser ? La conformité aux cadres européens peut-elle être un avantage compétitif ?
En 2025, les entreprises chinoises jouent toujours un rôle crucial dans la chaîne d'approvisionnement mondiale, mais elles doivent faire face à la concurrence d’autres pays exportateurs qui montent en puissance sur le marché. Il s’agit notamment du Vietnam, de l'Inde voire de certains pays africains, des pays et des zones qui ont en commun un coût de main-d'œuvre moins élevé qu'en Chine pour une capacité d'exécution souvent similaire.
Faut-il alors rogner sur la qualité de la production pour rester compétitif en termes de prix, et privilégier d’autres marchés, ou ces entreprises feraient-elles mieux de s'adapter aux attentes de plus en plus strictes concernant la durabilité et la RSE européenne, souvent en décalage avec les normes locales chinoises moins rigoureuses ?
Une partie du secteur semble vouloir privilégier la seconde option
Sous l'impulsion de la Fédération Nationale Chinoise de l'Industrie du Textile et de l'Habillement (CNTAC) notamment via son Bureau RSE, de nombreuses entreprises chinoises prennent des mesures significatives pour s’adapter aux exigences RSE européennes, via une amélioration de l'encadrement RSE, de la certification ainsi que le déploiement d'un système d'évaluation de bilan carbone.
A ce stade, un travail de sensibilisation et de pédagogie extrêmement conséquent est néanmoins nécessaire pour permettre aux acteurs chinois de comprendre les implications des cadres réglementaires européens. Les CSO Occidentaux eux-mêmes ne sont pas toujours au clair sur ces sujets. L’état de la compréhension en Chine comme ailleurs en dehors de l’UE est nécessairement encore moins développé.
Lors de l'exposition sur l'expertise française de la mode éthique et responsable à Shanghai et à Pékin en 2023, nous avons toutefois constaté un réel intérêt des parties prenantes chinoises y compris le Bureau RSE de CNTAC pour les actions et les réglementations que la France a mises en place, que ce soit en termes d’exigences RSE ou le dispositif REP et l'affichage environnemental pour le textile. De nombreuses entreprises chinoises ont participé à notre conférence franco-chinoise sur la mode responsable en partenariat avec le Bureau RSE du CNTAC, et ont par la suite sollicité nos conseils pour les aider à mieux comprendre les réglementations européennes
Par quoi passent, le plus souvent, les engagements des entreprises chinoises ?
Les entreprises chinoises du secteur textile opèrent en ce moment un mouvement vers des pratiques perçues comme plus respectueuses de l'environnement à travers, notamment, la réduction de la consommation d'eau, d'énergie et de polluants chimiques dans leurs usines. L’usage de matériaux recyclés est également très largement mobilisé. Il faut dire que la question du recyclage bénéficie d’une grande publicité à la fois dans la communication officielle chinoise et dans les médias chinois. Des projets que les communications chinoises regroupent souvent sous la bannière d’un programme national plus ou moins formel “变废为宝” (Biàn Fèi Wéi Bǎo : transformer les déchets en trésor).
Plusieurs exemples permettent d’illustrer cette tendance . Des marques connues des chinois comme Bosideng, Youngor, Li-Ning, Xtep et Anta communiquent sur leurs initiatives en faveur du recyclage. Dans les faits, il s’agit généralement d’intégrer des fibres synthétiques conçues à partir de PET recyclé.
D’autres exemples semblent plus concrets : en 2023, Ever-Glory International Group, une entreprise basée en Chine, a annoncé un plan visant une réduction de 30 % de ses émissions de carbone d'ici 2030.
Jiangnan Buyi, l'une des marques de mode les plus emblématiques de Chine, a lancé un projet novateur pour promouvoir la durabilité : le 芝麻实验室 (ZhīMa ShíYàn Shì : laboratoire de sésame), une initiative dédiée à la recherche de solutions pour l’utilisation de matériaux écologiques et durables dans la mode, y compris l'utilisation de textile recyclé, et la recherche sur des processus de teinture plus écologiques, notamment à base de plantes. Pour la réduction des déchets textiles, l'entreprise a organisé des actions de collecte de vêtements usagés dans ses magasins. Ses initiatives, dont les impacts sont évidemment de hauteurs très variables, répondent aux préoccupations croissantes des consommateurs chinois qui apprécient également de plus en plus les engagements des marques en matière d'éco-responsabilité.
Pour le luxe et le haut-de gamme chinois, l’engagement passe avant tout par l’artisanat
L'utilisation de matériaux durables, le recyclage, la fabrication éthique et respectueuse de l'environnement attirent de plus en plus la classe moyenne chinoise. D'autres marques chinoises avec une clientèle CSP++ comme Songmont ou Klee Klee se distinguent par une approche éco-responsable et un engagement basé sur la promotion de l'artisanat traditionnel supposé incarner une production plus éthique.
La traçabilité représente sans doute le défi le plus concret
Le défi majeur pour ces entreprises réside dans le fait qu'elles doivent repenser leurs processus de production. Cela inclut la réduction de l'empreinte carbone de leurs usines, la gestion des déchets textiles et la mise en place de mécanismes garantissant des conditions de travail équitables. Un autre défi important est celui de la transparence. À ce jour, peu d'entreprises chinoises ont encore mis en place les systèmes nécessaires pour fournir des informations détaillées sur leur chaîne d'approvisionnement. Or, de nombreux producteurs chinois ne disposent pas des technologies ou des protocoles nécessaires pour offrir une telle transparence. Enfin, l’adoption de standards plus stricts en matière de durabilité et de responsabilité sociale nécessite non seulement des investissements considérables en matière de technologie et de formation, mais aussi un changement culturel au sein des entreprises elles-mêmes.
A propos de l’autrice :
Jing Wang-Schmitt est fondatrice et présidente d’ECO Impact, une société de l'ESS dédiée à la transition écologique du secteur mode et textile.
En parallèle, elle dirige LNG Consulting, un cabinet de conseil international qui accompagne et forme les institutions et les entreprises dans les projets de coopération entre la France et la Chine. Engagée dans la promotion de la mode circulaire, elle organise aussi régulièrement des événements de sensibilisation à La Réunion (où elle vit), mais aussi en Chine et à Paris.
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