Sinarum #30 - La Chine fatigue de son ultra fast-fashion
Chaque semaine, l’essentiel de l'actualité chinoise sur l'industrie de la mode, le textile et l'économie circulaire. En français, pour comprendre la Chine et l'impact de ses dynamiques sur le monde.
Sommaire :
Édito : Ras-le-bol généralisé au pays de l’ultra fast-fashion
La revue de presse :
Mode : Chanel à la peine en Chine
Business : Pékin présente sa nouvelle loi sur la promotion de l’économie privée
Edito
Ras-le-bol généralisé au pays de l’ultra fast-fashion
Même si c’est en Chine qu’elle est souvent produite, les consommateurs chinois aussi n’en peuvent plus de l’ultra fast-fashion. “Tout se ressemble, tout est moche.” “Les photos des vêtements en ligne donnent envie, mais quand on les reçoit, on dirait des guenilles.” Sur Weibo, les internautes chinois partagent leur frustration et se demandent “Pourquoi est-il de plus en plus difficile d’acheter des vêtements ? / 为什么我们的衣服越来越难买了”.
Tous s’accordent à dire que les vêtements commandés sur les grandes plateformes e-commerce de fast et d’ultra fast-fashion (la grande majorité du marché, donc) sont de pire en pire, de plus en plus laids, de piètre qualité.
Le taux de retours de colis ne cesse d’augmenter en Chine jusqu’à atteindre des niveaux absolument absurdes. Aujourd’hui, plus de 50 % des vêtements féminins commandés sont retournés. Les consommateurs chinois font de moins en moins confiance aux plateformes de e-commerce, tout comme nous sommes de plus en plus nombreux en Europe à se méfier des photos alléchantes de Shein ou Temu.
Sur ses modes de consommation, la Chine fait son auto-critique
Le marché chinois de l’habillement est ultra-dominé par le e-commerce et le live shopping sur les réseaux sociaux. Un environnement que les internautes, et la presse, accusent de plus en plus d'avoir entraîné la mode dans une spirale où la médiocrité chasse la qualité. Sur Weibo, ils fustigent un secteur où les modèles économiques ne reposent plus sur une fidélisation des clients par la qualité ou le style, mais sur une instrumentalisation de la data et une immense capacité à communiquer. C’est d’ailleurs, en partie, le modèle que défend Donald Tang, patron de Shein.
Les Chinois aimeraient comprendre comment ils en sont arrivés là.
La réponse ne devrait pas être si compliquée à trouver puisqu’une grande partie des vêtements de l’ultra fast-fashion sont fabriqués en Chine. C’est sans compter sur la capacité des consommateurs chinois à décorréler, au moins aussi bien que nous, les méthodes de production des produits qu’ils achètent. Comme pour beaucoup de produits dans les pays développés : nous ne savons pas bien comment et où les vêtements sont fabriqués.
“95 % des usines ne savent pas faire de bons vêtements” dit monsieur Meng, un vétéran du secteur qui travaille avec plus de 100 usines à travers la Chine. Au-delà du savoir-faire, c’est toute une approche industrielle qui est publiquement questionnée. La majorité des usines privilégie la simplicité : un tissu, plusieurs coloris, une coupe unique déclinée à l’infini. Le vêtement est devenu un simple support pour vendre de la matière. “On oublie que le vêtement n’est pas un produit standardisé. Chaque pièce a ses particularités. Aujourd’hui, on l’a réduit à un produit d’usine. Et c’est tout le secteur qui en souffre.”
Comment faire et vers qui se tourner pour consommer mieux ?
La Chine est à mi-chemin de son développement industriel. Si la production industrielle reste performante dans les segments bas et moyen de gamme, elle montre ses limites dès qu’il s’agit de produire mieux, et en petites quantités. Les jeunes marques chinoises qui misent sur la création et les marchés de niches rencontrent les mêmes obstacles que leurs homologues européennes : coûts de fabrication élevés, manque de flexibilité des chaînes d’approvisionnement, difficulté à faire émerger un savoir-faire différenciant.
Par Renaud Nicolas Petit
La revue de presse
👗 Mode : Chanel à la peine en Chine
Source : The Paper (澎湃) 21 mai 2025
Le géant du luxe Chanel traverse une période délicate sur le marché chinois. L’annonce récente d’un alignement mondial des prix, censé harmoniser les écarts entre les pays, n’est pas particulièrement bien perçue par les consommateurs chinois qui devront payer leurs vêtements, sacs et parfums un peu plus cher.
Des rumeurs courent également en Chine et évoquent une possible réduction de près de 20 % des effectifs de Chanel dans le pays au cours de l’année.
Le constat est plus large : les marques de luxe étrangères, Chanel en tête, peinent de plus en plus à séduire en Chine, toute proportion gardée. Les analystes dans la presse chinoise évoquent notamment, en explication du phénomène, la baisse d'intérêt notamment par les jeunes chinois pour le luxe trop statutaire et ostentatoire, au profit d’une certaine quête d’authenticité et d’individualité et de sens.
Pourtant, la marque montre déjà des signes de sursaut et une nouvelle stratégie se dessine. Un développement du réseau de distribution est manifestement à l’étude et il vise non plus les grandes mégalopoles chinoises et les grandes capitales provinciales, mais plutôt les villes secondaires. Le bruit court en Chine qu’une boutique Chanel devrait ouvrir prochainement à Wuxi, ville seconde de la province de Jiangsu, 30e ville de Chine par sa population et 3 fois moins peuplée que la capitale de sa province, Nanjing. Wuxi est tout de même une ville touristique et peuplée d’un peu moins de 4 millions d’habitants, et n’est située qu’à 130 km de Shanghai.
L’enseigne explore également de nouvelles alliances industrielles avec des entreprises chinoises, pour afficher un meilleur ancrage local auprès d’une population chinoise soucieuse de consommer chinois.
🕴️Business : Pékin présente sa nouvelle loi sur la promotion de l’économie privée
Source : XinHua (新华网), 20 mai 2025
Cette loi entrée en vigueur le 20 mai 2025, constitue de fait la première législation fondamentale spécifiquement dédiée au développement de l’économie privée en RPC. 9 chapitres et 78 articles, dont la première reconnaissance juridique du principe des “2 invariants / 两个毫不动摇”, une doctrine qui grave dans le marbre le soutien équivalent et constant à l’économie publique et à l’économie privée. C’est également la première fois que le développement (sain, durable et de qualité) de l’économie privée est inscrit comme une politique d’État à long terme.
La loi s’attaque aussi aux enjeux de la concurrence équitable, de l’accès au financement, et à l’innovation technologique. Elle encourage les investissements privés dans les industries émergentes, les technologies de rupture, et l’internationalisation des entreprises. Cela va inciter les entreprises à investir davantage en R&D pour renforcer leur compétitivité. Les industries traditionnelles et anciennes comme le textile ne figurent toujours pas parmi les priorités.
Pour Xinhua, l’agence de presse officielle du régime, cette loi “incarne une application concrète de la pensée juridique et économique de Xi Jinping / 民营经济促进法的制定出台是贯彻习近平法治思想、习近平经济思想的生动实践“.
Pour plus d’informations sur la place que peuvent se faire ces secteurs anciens dans l’économie chinoise contemporaine ultra-axée sur les hautes technologies, n’hésitez pas à consulter notre analyse de mars 2025 à ce sujet. ⬇️
Sinarum #19 - Le textile VS les nouvelles technologies : Le briefing de l’industrie de la mode et du textile en Chine
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