Sinarum #10 - Bilan de l’année 2024 - les jeunes chinois s'éprennent de l’upcycling - où est le luxe chinois en Europe : Le briefing de l’industrie, de la mode et du textile en Chine
Chaque semaine, l’essentiel de la presse chinoise sur l'industrie, le textile et l'économie circulaire. En français, pour comprendre la Chine et les impacts de ses dynamiques sur le monde.
Sommaire :
Édito : Que manque-t-il à la mode créative et au luxe chinois pour conquérir l’Europe ?
La revue de presse :
Mode : Ce qui a changé pour l’industrie de la mode chinoise en 2024.
Textile : Retour sur la Conférence chinoise du textile 2024.
Circularité : Les jeunes Chinois se passionnent pour l’upcycling et le DIY.
Edito
Que manque-t-il à la mode créative et au luxe chinois pour conquérir l’Europe ?
La Chine est parvenue facilement à pénétrer les marchés occidentaux sur le créneau de la fast-fashion, mais force est de constater qu’il y a encore peu de marques de luxe chinoises dans les grands magasins et sur les grandes avenues de Paris ou de Londres.
C’est en côtoyant les entreprises chinoises et en observant la présence des acteurs du textile chinois à Paris qu’on peut tirer quelques pistes pour comprendre cet état de fait.
D’abord, un déficit d’adaptation culturelle. Les entreprises chinoises peinent à s’accommoder du réseau relationnel, des lenteurs administratives, et de la valorisation du caractère créatif propre aux marchés européens. Intégrer la Fashion Week de Paris, par exemple, exige un investissement financier, mais pas seulement. Les marques doivent passer par un processus long qui intègre des critères non-économiques et davantage esthétiques et créatifs. Cet investissement au-delà de l’argent est souvent jugé illogique par les marques chinoises.
Ensuite, si les marques chinoises investissent bien dans une communication en Europe, leurs actions restent toujours, de fait, tournées vers la Chine. Une action RP en Europe est davantage perçue comme un moyen d’asseoir la crédibilité de la marque auprès des consommateurs chinois qu’un vrai levier pour séduire un public européen. Paris, Londres ou Milan sont des vitrines, non pas pour vendre en Occident, mais pour impressionner à domicile.
Enfin, l’identité esthétique des marques chinoises, lorsqu’elle est originale, demeure encore éloignée des goûts occidentaux. Le style chinois peine à convaincre les consommateurs européens. La réciproque devient également de plus en plus vraie.
La revue de presse
👗 Mode : Ce qui a changé pour l’industrie de la mode chinoise en 2024.
Source : WangYi (网易) 31 décembre 2024
Pour l’année 2024, l’industrie de la mode chinoise retient principalement des innovations techniques, preuve de la position de leader de l’innovation textile ultra high-tech que vise la Chine.
La priorité est de proposer des fibres à fortes capacités techniques (résistances, confort thermique, etc), souvent plus que de favoriser l'émergence d’un textile durable. L’article mentionne tout de même la création en 2024 d’une nouvelle fibre PET à faibles émissions.
Autre fait notable de cette année écoulée : le succès des Ma Mian Qun, sortes de jupes plissées typiquement chinoises nées sous la dynastie Song (c'est-à-dire au début du millénaire précédent) et qui ont fait un grand retour très remarqué dans les gardes robes des Chinoises. Cette tendance, et le fait qu’elle soit relevée ici dans la presse, confirme la dynamique du "New Chinese Style" ou “style néo-chinois (新中式), véritable redéfinition des codes et des attentes esthétiques des consommateurs chinois dont nous parlions déjà dans l’édition de Sinarum du 13 décembre 2024,
De 2024, l’industrie textile chinoise retient aussi le dynamisme d’une autre tendance : le passage d’une industrie basée sur l’exportation de produits à une industrie basée sur l’exportation de marques. C’est notamment ce qu’a souligné Sun Ruizhe, président de la Fédération chinoise des industries textiles, lors de la Conférence chinoise du textile 2024 qui s’est tenue en décembre à Keqiao : “L’industrie textile entre dans une nouvelle phase de développement. Nous passons de produits à des marques exportables, de capacités de production à des chaînes d'approvisionnement, et des entreprises individuelles à des clusters industriels. Les entreprises renforcent leur capacité d'innovation grâce à des ressources externes, favorisant ainsi un développement commun.” Peu de marques de vêtements chinoises émergent en Occident mais les rares qui y parviennent, comme Shein, inondent littéralement le marché en une poignée d’années seulement. Les marques chinoises sont cependant plus nombreuses à percer dans les pays asiatiques voisins de la Chine.
🧵 Textile : Retour sur la Conférence chinoise du textile 2024.
Source : Zhejiang Association for Science and Technology (浙江省科学技术协会), 11 décembre 2024
L'événement, grande messe annuelle qui réunit entrepreneurs, experts, décideurs politiques, ambassadeurs internationaux, et universitaires, s’est tenu en décembre à Keqiao. Le thème de cette année : tirer parti des réformes pour ouvrir un nouveau chapitre. “Nous avons construit une chaîne textile complète qui englobe les étapes amont (polyester et textile), intermédiaires (fabrication) et aval (habillement et textiles pour la maison). Cette conférence est une opportunité de promouvoir une mode plus élégante, plus durable, et plus intelligente.” a déclaré Shi Huifang, secrétaire du Parti de Shaoxing.
Conférence sur le développement des clusters textiles en Chine, Forum sur la transformation numérique de l’industrie textile, conférence annuelle sur l’innovation textile, conférence sur l’investissement et le financement, Forum sur l’ESG dans l’industrie textile… La liste des événements internes à l'événement principal donne le ton des sujets qui animent l’industrie aujourd’hui.
Bien que l’article ne précise pas directement quelles réformes sont évoquées, on peut identifier plusieurs axes de réforme pertinents basés sur le contexte actuel du secteur textile en Chine. D’abord, les réformes industrielles et technologiques qui poussent à la modernisation des processus de fabrication, à l'automatisation et à l'usage de l’IA.
Ensuite, les réformes environnementales qui conduisent les entreprises, notamment dans le textile, à mieux traiter leurs eaux usées et à réduire les émissions de gaz à effet de serre en accord avec les objectifs nationaux de neutralité carbone d'ici 2060.
Enfin, les réformes commerciales et stratégiques, notamment l'élargissement des accords commerciaux internationaux et les initiatives de coopération avec des pays voisins émergents comme le Pakistan où la Chine à la fois délocalise ses usines et exporte de plus en plus de vêtements à bas prix.
Pour booster son industrie textile et exporter des marques plus que des produits finis, la Chine mise aussi sur un soutien financier renforcé aux PME du secteur, parfois sous la forme de partenariats public-privé.
♻️ Circularité : Les jeunes Chinois se passionnent pour l’upcycling et le DIY.
Source : WangYi (网易) 31 décembre 2024
Une observation qui s’appuie sur un rapport publié récemment sur les tendances de l’innovation durable pour 2024. D’après ce document, les jeunes chinois s’intéressent massivement à la réparation de vêtements, mais aussi à la transformation de pièces usagées en nouveaux objets. Un comportement décrit comme inverse à celui de leurs parents qui, eux, préfèreraient l’accumulation de biens.
“Louer plutôt qu’acheter, privilégier la seconde main et revendre après usage /‘能租就不买,必买淘二手,用完再转卖) : quelques jeunes pionniers en Chine adoptent une nouvelle philosophie de consommation. Sur les réseaux sociaux chinois comme Douyin (TikTok), Weibo ou Xiao Hong Shu (équivalents respectifs de Twitter et d’Instagram), les publications liées au DIY et des conseils conso écolos se multiplient, bien plus vite que dans les médias officiels et traditionnels. Un changement de paradigme tout juste amorcé qui serait guidé par le sentiment de la jeunesse chinoise d'être investie d’une mission et d'une responsabilité imposées par l'époque. D’après le rapport, une partie de plus en plus importante des jeunes consommateurs chinois sont même prêts à payer plus cher pour des produits plus éco-responsables.
L’article se pose une question : comment l’Etat pourrait-il favoriser la généralisation des comportements durables et éco-conscients ? Comme souvent en Chine, les propositions s’orientent vers un système de récompense. L'article demande, par exemple, si les villes ne pourraient pas récompenser les kilomètres parcourus à vélo par des tickets de transport publics gratuits. Dans plusieurs villes de Chine, les dons de vêtements usagés sont déjà récompensés en produits de grande consommation, en argent ou en crédits WeChat Pay.
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