Sinarum #36 - Le luxe français n’est plus en terrain conquis en Chine
Chaque semaine, l’essentiel de l'actualité chinoise sur l'industrie de la mode, le textile et l'économie circulaire. En français, pour comprendre la Chine et l'impact de ses dynamiques sur le monde.
Sommaire :
Édito : Pour LVMH, le luxe français n’est plus en terrain conquis en Chine
La revue de presse :
Finance : Shein oublie Londres et relance son projet d’IPO à Hong Kong
Transition : La Chine vante une baisse spectaculaire des émissions carbone de son industrie textile
Edito
Pour LVMH, le luxe français n’est plus en terrain conquis en Chine
En 2024, en visite à Paris, le président Xi Jinping avait réaffirmé l’accueil chaleureux et privilégié que la Chine consentait à réserver au luxe français. Le secteur a effectivement vécu deux décennies sur l’idée que jamais rien ne s'opposerait au luxe français côté chinois. En 2025, la désillusion est forte et le contexte bien différent.
Le 30 juin 2025, à l’occasion de la 11e édition du China-France Investment Dialogue, Marc-Antoine Jamet, secrétaire général de LVMH, a dressé un constat sans fard, devant un public d'entrepreneurs majoritairement chinois réunis auprès de la Chambre de commerce et d’industrie Paris Île-de-France. Les signaux d’alerte se multiplient pour le luxe français. Marc-Antoine Jamet identifie cinq grandes préoccupations majeures.
La première inquiétude concerne la protection des données industrielles.
Malgré les avancées du droit de la propriété intellectuelle en Chine, le respect du secret commercial est une notion que nous ne partageons pas entre la France et la Chine, notamment dans le domaine des cosmétiques. Pékin demande régulièrement, via l’Administration nationale des produits médicaux (国家药品监督管理局), la divulgation des formules et proportions des produits français. Une demande qui revient à livrer les recettes des cosmétiques importées.
Deuxième sujet de crispation : la remise en cause d’une reconnaissance mutuelle des standards de qualité.
L’idée selon laquelle la France et l’Europe pourraient développer, avec la Chine, un système de standards internationaux partagés semble s'éloigner. Si ce projet avait abouti, les produits chinois vérifiés par les administrations chinoises auraient pu circuler facilement en France, et les produits français validés par les autorités européennes auraient pu pénétrer en Chine de la même manière.
C’est néanmoins le contraire que nous constatons aujourd’hui. Pékin réintroduit des contrôles spécifiques unilatéraux, refuse de reconnaître ceux opérés par les autorités européennes, et revendique même de mener des inspections sur le sol français. Une demande qui pose un problème de souveraineté évident.
Les exigences croissantes de production locale heurtent de plein fouet le positionnement des marques françaises.
Le luxe français fonde une partie de sa valeur sur la notion de “made in France” qui charrie une promesse d’authenticité, de savoir-faire mais aussi de qualité technique, environnementale et sanitaire. Ce luxe se trouve aujourd’hui dans une position compliquée face aux demandes répétées de Pékin qui pousse désormais pour que la production industrielle des produits vendus en Chine se réalise sur son territoire.
Le discours politique chinois s’avère de moins en moins favorable à la consommation de produits étrangers.
Marc-Antoine Jamet en veut pour preuve les campagnes de dénigrement à l’égard des marques françaises qui se multiplient en Chine, souvent accompagnées de la promotion de copies locales présentées comme des alternatives équivalentes. Ces mouvements s’accompagnent d’une montée en puissance d’une concurrence chinoise structurée, qui entend s’imposer sur le segment premium.
Enfin, les tensions commerciales se durcissent.
Les barrières à l’entrée imposées sur certains produits français, comme le cognac, sont perçues comme des mesures de rétorsion destinées à peser sur les négociations entre Bruxelles et Pékin par le secrétaire général de LVMH qui regrette qu’elles ne pénalisent, en réalité, que les producteurs français sans véritablement heurter la Commission européenne. Dans le même temps, la Chine, par un jeu des subventions auquel elle semble exceller, s’adonne à une conquête des marchés extérieurs, et se concentre même beaucoup plus sur l’Europe depuis que les Etats-Unis lui sont fermés.
Par Renaud Nicolas Petit
La revue de presse
🏛️ Finance : Shein oublie Londres et relance son projet d’IPO à Hong Kong
Source : Sina Finance (新浪财经), 27 juin 2025
Après deux tentatives avortées, le géant de l’ultra-fast fashion prépare en toute discrétion une introduction en Bourse et se tourne, cette fois, vers Hong Kong. Selon plusieurs sources, le groupe aurait entamé une procédure de dépôt confidentiel de prospectus, en vue d’une cotation dès 2025.
Cette démarche “secrète” est peu courante sur la place hongkongaise. Elle permettrait à Shein de préserver la confidentialité de ses données financières et opérationnelles pendant la phase d’examen réglementaire. Si cette approche est validée, elle constituerait une dérogation exceptionnelle aux règles de transparence habituelles. Cette procédure est, traditionnellement, réservée aux entreprises déjà cotées ailleurs. En cas de succès, cette opération pourrait devenir l’IPO la plus importante de l’année en Asie.
Depuis fin 2023, Shein enchaîne les tentatives d’introduction en bourse. Sa première demande aux États-Unis a été rejetée, sur fond de tensions sino-américaines. En juin 2024, la marque se tourne vers Londres. Après un feu vert de la Financial Conduct Authority (FCA) britannique en avril 2025, c’est l’approbation des autorités chinoises qui ne vient pas.
Le choix de Hong Kong peut apparaître comme une solution de repli, faute de mieux, mais il offrirait à Shein un bon compromis entre proximité géographique, accès aux capitaux internationaux et un contrôle réglementaire jugé plus favorable par Pékin.
🌿 Transition : La Chine vante une baisse spectaculaire des émissions carbone de son industrie textile.
Source : JingJi RiBao (经济日报), 2 juillet 2025
Selon les dernières données publiées par la Fédération chinoise de l’industrie textile (CNTAC / 中国纺织工业联合会), l’intensité carbone du textile et de l’habillement en Chine a reculé de plus de 14 % en deux ans, entre 2022 et 2024.
La Chine est le premier transformateur de fibres textiles au monde. Si l’industrie textile n’est responsable que de 2 % des émissions nationales de CO₂, sa consommation énergétique élevée en fait un levier stratégique dans la lutte contre le changement climatique, tant à l'échelle nationale qu’à l'échelle mondiale.
L’un des axes prioritaires de cette transition repose sur l’électrification des processus industriels. Selon une étude du Centre d’information textile chinois, la part des émissions issues du charbon dans le secteur a chuté de 35 % en 2005 à seulement 3 % aujourd’hui.
Par ailleurs, la part d’électricité verte consommée par les entreprises engagées dans le plan national “Fashion Climate Innovation 30·60 (时尚气候创新30·60碳中和加速计划) est passée de 8 % en 2022 à 23 % aujourd’hui. Ce programme, lancé pour accompagner l’objectif de neutralité carbone fixé par Pékin, vise à structurer la transition énergétique et motiver les innovations dans les domaines des matériaux biosourcés et du recyclage.
L’impact de l’industrie textile ne tient cependant pas qu’au carbone et encore moins à la seule dépense énergétique réalisée pendant la fabrication de textiles et de vêtements. Le manque de capacités techniques des PME, le coût encore élevé des matières recyclées et l’absence de standards unifiés compliquent les évolution positives sur d’autres sujets. Pour aller plus loin, il serait utile d'harmoniser les outils de mesure carbone.
Ces enjeux étaient d’ailleurs au centre des discussions lors du Forum Climat & Mode 2025 (2025 气候创新·时尚大会), organisé le 25 juin à Pékin.
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